dimanche 14 mai 2017

Anne Barrère: Les lycéens au travail

 Anne Barrère : Les lycéens au travail

par Arnaud TABAKOU TEMAYEU  

 

INTRODUCTION


L’école, qu’est-ce que c’est ? Un constat liminaire fait état de ce que l’école est le reflet de la société, l’école : c’est l’institution qui, plus que toute autre, incarne la république. Dans cette perspective, l’école, autant que la république qu’elle représente et la société qui l’héberge, a son propre environnement, ses acteurs et leurs interactions. Cet environnement dit « scolaire », selon Émile DURKHEIM, est fortement dépendant des structures politiques et sociales. Ainsi se trouve posée les fondements qui sous-tendent la sociologie de l’éducation. Dans le cadre de cette étude, nous procéderons à une analyse multivariée de l’ouvrage Les lycéens au travail : tâches objectives, épreuves subjectives d’Anne BARRÈRE. Pour cet ouvrage, l’auteure est partie d’une analyse des mentions portées par les enseignants sur certaines copies d’apprenants, à l’instar de « Travail insuffisant ; peut mieux faire ». Elle pose ainsi qu’il s’agit d’un paradoxe si l’on s’en tient au fait que l’allongement des études induit une caractérisation du travail scolaire en tant qu’expérience. Aussi propose-t-elle, par le biais d’une méthode qualitativo-quantitative, d’analyser le travail réel des apprenants, au-delà des conséquences en termes de résultats scolaires. Il est donc question de ressortir le contenu de cet ouvrage. Cependant, il ne s’agira pas d’un résumé, mais plutôt d’une analyse critique intégrant rapport de lecture et critique de l’ouvrage. Dans cette perspective, nous aurons successivement : l’analyse des postulats théoriques d’Anne BARRÈRE puis, l’analyse critique de l’ouvrage.



La présente section vise à ressortir d’une lecture  analytique, les différentes conceptions élaborées par BARRÈRE, selon la nature des problématiques secondaires mises en exergue.

1.1.            La nature du travail scolaire

Après avoir noté dans son propos liminaire que la sociologie de l’éducation, dans la perspective de BOURDIEU et PASSERON, ne s’est pas suffisamment penchée sur la question du travail scolaire, BARRÈRE pose que le fort taux de référentialité au concept de travail et son caractère central dans l’univers des classes devrait attirer l’attention sur sa pertinence.
En effet, le travail de l’élève relève plus d’une compréhension tacite, implicitement partagée et limitée aux deux acteurs fondamentaux du processus d’enseignement-apprentissage. Pourtant, le  travail scolaire étend ses limites bien au-delà du simple cadre scolaire, faisant ainsi des lycéens, des travailleurs à grande échelle. Dans cette perspective, l’auteure adopte une posture descriptive dont l’objectif tient d’une démonstration de la nature sociale du travail des élèves, au-delà de sa nature scolaire. Ainsi, la conception du travail des lycéens se trouve élargie à l’échelle sociale. Il devient indispensable d’en ressortir les caractéristiques.

1.2.            Les caractéristiques du travail des lycéens

Seront présentées dans cette sous-section, quelques caractéristiques du travail des lycéens afin d’établir une compréhension plus approfondie des postulats de BARRÈRE.

1.2.1.      La bi-spatialité du travail des lycéens

Les tâches d’apprentissage sont à réaliser tantôt en milieu scolaire, tantôt en milieu extra-scolaire. En effet, BARRÈRE constate que les élèves sont amenés à gérer des contraintes relevant de la planification des activités et de l’organisation de ces dernières. Et pour cause, la bi-spatialité de leur travail inclut une bi-facialité des modalités de travail. Ainsi, en salle de classe, ils sont amenés à travailler avec un guide (enseignant) qui agit et réagit majoritairement dans une perspective du groupe ; par contre, en dehors de l’école (maison, autres lieux d’apprentissage (bibliothèques…)), l’apprenant est contraint de changer de mode de travail : il est désormais seul, sans guide, probablement sans pairs. Cette dichotomie induit un certain nombre de réajustements incessants qui participent d’une augmentation du travail du lycéen. Par ailleurs,  l’auteure précise que ces réajustements se font à une échelle pluridisciplinaire, élargissant ainsi l’horizon de  travail du lycéen.
En outre, le travail dans deux espaces implique un conformisme du lycéen face aux contraintes organisationnelles que lui posent les environnements présentés supra. Ainsi, le lycéen doit s’adapter au manque d’autonomie qu’il subit tant au lycée qu’à la maison ; il doit aussi assurer le statut social d’enfant d’une famille qui, en tant qu’organisation micro-structurelle, lui confère des tâches extrascolaires.

1.2.2.      La bi-facialité du travail des lycéens

Cette rubrique vise à établir la double articulation du travail des lycéens, en rapport avec le paradigme école-société. De fait, BARRÈRE souligne que les lycéens, en tant que produit social sont envoyés à l’école pour une socialisation au sens durkheimien. Or, la société attend un retour sur investissement. Il en résulte que chaque lycéen est appelé à s’investir dans un travail scolaire supposé lui faire acquérir des compétences utiles à la société, et dans laquelle il lui faudra les réinvestir sous forme d’un autre travail. Ainsi, dans un aller-retour incessant, les lycéens apprennent diverses notions à l’école (travail scolaire) qu’il leur faut utiliser dans différentes situations de vie (travail social).

1.2.3.      Travail des lycéens et cadre social

L’étude de BARRÈRE a été menée sur un échantillon de deux établissements scolaires : l’un fréquenté par des lycéens issus de milieux défavorisés, tandis que l’autre est fréquenté par des lycéens issus de milieux favorisés. De fait, elle  a plus établit que les interactions entre le lycéen et son environnement de vie sont essentielles pour la réalisation de son travail. En effet, elle a remarqué que les enfants issus du premier groupe s’accommodent malaisément de l’invasion des contraintes scolaires dans leur environnement personnel : les causes identifiées sont l’absence de cohésion entre leurs pairs à l’école et leurs pairs au quartier, et l’absence de soutien familial. Par contre, les élèves  issus du second groupe s’adaptent à cette invasion, grâce au soutien familial et à la  cohésion entre le groupe juvénile extrascolaire et le groupe (juvénileà scolaire. En d’autres termes, par un phénomène d’implication directe, les élèves du premier groupe sont issus d’un milieu où tous les pairs (du point de vue de l’âge) ne vont pas forcément à l’école et où les membres de la famille n’ont pas forcément bénéficié d’une scolarité avancée : il en résulte un déphasage au niveau intellectuel à chaque fois que ces élèves vont du milieu scolaire au milieu extrascolaire ; par contre, les élèves du second groupe bénéficient d’une forme de constance d’ordre intellectuelle, de par le niveau de scolarité tant des pairs que des membres de la famille. L’inconstance et la constance observées de part et d’autre complexifient ou facilitent (selon les cas) le travail des lycéens.

1.2.4.      Travail scolaire et subjectivité

La présente rubrique fait état des imbrications existantes entre le travail scolaire et la subjectivité des acteurs, et des interactions entre les subjectivités des différents acteurs en présence. En effet, l’étude montre que les lycéens développent des mécanismes subjectifs qu’ils appliquent aux tâches scolaires. Considérant que toutes les tâches relèvent de l’évaluation sommative, et que les notes peuvent être influencées par diverses variables indépendantes, les lycéens ont développé une conception qui assimile l’apprentissage à un exercice de mémorisation, tandis que l’évaluation est conçue comme une activité de restitution des connaissances : un tel contexte promeut un apprentissage (plus  exactement, des lectures  intenses)  cumulé à la veille des évaluations. Cependant, l’enseignant demande  souvent aux élèves de laisser libre cours à leur subjectivité en répondant à une question : les  lycéens constatent ainsi qu’au-delà du travail de lecture, il leur faut recourir à la réflexion, un autre travail.
Par ailleurs, eu égard de ce que la vision utilitariste de l’apprentissage, née d’une quête d’efficience et de la quête de capital humain des entreprises, a modifié les orientations de l’éducation, comme le rappelle LENOIR (2012), BARRÈRE souligne que les lycéens ont tendance à ne fournir des efforts pour une tâche que si cette dernière est sanctionnée d’une note. De fait, BOYER constate que 
« L'utilitarisme  prospère précisément  sur la  fragilité de  l'intérêt intellectuel.  Il permet  de  travailler  pour  la  note  immédiate,  la  moyenne, l'orientation...  Il  devient  de  cette  façon  support  de  sens et  générateur  de  pratiques  réelles  :  il  ordonne  la  masse de travail,  la  découpe et  classe  en  investissements calculés  pour  bénéfices  scolaires. »
L’implication directe de ce postulat dans l’étude de BARRÈRE est que si les performances sont bonnes, elles ont tendance à croître, tandis que si elles sont mauvaises, leur déclin sera croissant.
            En outre, la subjectivité des élèves se manifestent par la crainte qu’ils ont de se faire railler par rapport à leur notes : il en résulte qu’ils font davantage d’efforts, travaillent plus pour émerger de la spirale de l’échec scolaire.
            L’analyse visant à ressortir les postulats de BARRÈRE dans son ouvrage ainsi achevée, la réflexion est à présent réorientée vers  une analyse critique du même  ouvrage.

2.      ANALYSE CRITIQUE DE L’OUVRAGE  DE BARRÈRE

Posons au préalable que l’étude de BARRÈRE nous semble pertinente puisqu’elle étudie un système d’interactions entre l’école et la société, qui sont des entités corrélées. Cependant, dans une perspective critique, certaines remarques peuvent être formulées.
Ainsi, nous accordant avec BOYER, nous pensons que relativement à notre formation en management de l’éducation, BARRÈRE nous aurait été davantage utile si elle s’était intéressée aux politiques managériales et modalités de fonctionnement. En effet, un accent mis sur ces éléments aurait pu nous éclairer quant à la nature  des implications entre système managérial, processus d’enseignement-apprentissage, et performances des apprenants.
Par ailleurs, au regard de l’actualité dans certains pays non africains à l’instar des États-Unis d’Amérique, la tendance est à la rémunération de tout travail, fut-ce le travail social d’un lycéen au bénéfice de sa famille. Cette tendance semble être en accord avec les considérations de BARRÈRE. Or, de telles conceptions doivent être « socio-contextualisées ». En effet, et comme le soulignait un sociologue camerounais dans un programme de la CRTV-Radio, de telles tendances ne doivent pas être importées car elles annihileraient nos valeurs socioculturelles. Il est pourtant admis que ce sont ces dernières  qui régissent la vie d’une société et orientent son école, pour un retour sur investissement  conséquent.



L’analyse qui trouve ici son extinction était orientée sur la compréhension de l’ouvrage Les lycéens au travail : tâches objectives, épreuves subjectives d’Anne BARRÈRE. À son issue, nous pouvons relever qu’au travers d’une modèle de  recherche qualitativo-quantitatif, l’auteure a présenté une situation déplorable de l’environnement scolaire, qui fait travailler le lycéen sans tenir compte des différentes interactions au milieu desquelles ce dernier se trouve balloté, de l’école à la société. Ainsi, au bénéfice des acteurs de l’éducation, l’ouvrage souligne la nécessité de prendre en compte tant les interactions intra-organisationnelles du système éducatif (de l’échelle macrostructurale à l’échelle microstructurale) que les interactions extra-organisationnelles que le système éducatif en général et l’école en particulier  entretient avec la société qui l’héberge. En outre, au regard de la critique que nous avons proposée, les manageurs de l’éducation devraient se souvenir que la nature de ces interactions, la teneur des décisions à prendre, sont fortement contextuelles : tout doit être ajusté à la thématique « école et société ».



      BARRÈRE, Anne (1997), Les lycéens au travail : tâches objectives, épreuves subjectives, PUF, pp.
BARRÈRE, Anne (1998), « Les forçats de l’école : Réflexions sur la valeur du travail au lycée », SPIRALE -Revue de Recherches en Éducation, N° 22, pp.105-113


      BOYER, Régine (1998) « Barrère (Anne). - Les lycéens au travail. » In: Revue française de pédagogie, volume 124. Sociologie de l'éducation. pp. 155-156; http://www.persee.fr/doc/rfp_0556-7807_1998_num_124_1_3042_t1_0155_0000_1
Document généré le 07/06/2016

LENOIR, Yves (2012), Éducation scolaire, performance et équité sociale: des relations problématiques, Lingvarvmarena, Vol. 3, pp. 9 – 36.



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